dimanche 6 septembre 2009

Du commerce de l'angoisse

Manipuler un quidam n'est pas chose aisée pour qui n'a pas le sens du commerce. Tout vendeur, politicien, dirigeant quelconque sait, lui, comment pratiquer. Certains l'ont appris (ou ont compris) quelle méthode appliquer, d'autres l'ont "dans le sang", ça leur vient "naturellement". L'essentiel est que pour ces catégories de gens, que ce soit "naturel" ou non, que cela leur vienne "tout seul" ou non, l'essentiel est que ça fonctionne. Un vendeur de chaîne hi-fi arrivera à te convaincre que ton poste est une merde, que tu as besoin de mieux. Tu achètes et t'es content. Un politicien arrivera à te convaincre qu'il œuvrera pour ton bien, que tu as besoin de lui. Tu votes et tu laisses faire. Un patron arrivera à te convaincre que c'est grâce à lui que tu as un travail/un salaire, que tu as besoin de lui. Tu pointes et tu dis merci.
Quand les doutes assaillent le client/citoyen/employé, il faut lui coller les miquettes.
- si tu n'achètes pas sa nouvelle chaîne, quand tout le monde l'aura tu te taperas la honte. Pire, ta vieille chaîne pourrie ne va pas tarder à te lâcher. La honte et la gêne cumulée, etc...
- si tu ne votes pas pour ce candidat là, tu pourrais laisser les méchants s'occuper de toi en votant pour un gros vilain. Pire ce serait le chaos,l'anarchie, la violence dans les rues, les chiens qui te pissent sur les pompes, la guerre civile, ta mère qui vient habiter chez toi, etc...
- si tu ne plies pas l'échine, tu seras mis à la porte et tu te retrouveras clodo. Pire : la boutique du patron va fermer car tu auras joué aux fortes têtes qui veulent de meilleurs salaires ; par ta faute des milliards de gens seront sans emploi, sans argent ; la future crise ça sera de ta faute ; la famine c'est toi ; la guerre c'est toi ; etc...
Ici nous avons des exemples directs. Et j'ai un peu forcé le trait, je dois le reconnaître.
On peut faire plus subtil.
A la télé, tu n'achètes rien (sauf si t'es suffisamment con pour mater le télé-achat, mais en règle général ce n'est pas le but) ; tu ne votes pas (sauf t'es suffisamment con pour croire dans leurs jeux débiles, mais en règle général ce n'est pas le but non plus) ; tu ne pointes pas (sauf si t'es suffisamment con pour être dans le panel des téléspectateurs médiamétrie, mais en règle général ce n'est toujours pas le but). Par contre le fric brassé est en quantité astronomique, le jeu de pouvoirs développé est considérable.
Le pognon vient de la publicité. Plus il y a de clampins qui matent et plus l'audimat est bon. Plus l'audimat et bon et plus les annonceurs publicitaires sont prêts à payer cher les quelques secondes d'antenne qu'ils achèteront à la chaine que tu regardes.
Le but : un maximum de clampins doivent mater coûte que coûte pour que les pépettes rentrent à mort. Entre alors en jeu tout un tas de techniques de manipulations différentes, étudiées, réfléchies. Certaines sont issus des techniques de vente qu'on retrouve dans la grande distribution, d'autre dans les techniques de propagande ("relations publiques", "conseil en communication"... seuls les noms changent) plutôt "politiques", et d'autres seraient plutôt affilié aux rapports que les patrons entretiennent avec leurs employés (proche des techniques de management) aux accents paternalistes. Toutes ces techniques, complexes, travaillées, étudiées depuis des dizaines d'années, sont à l'œuvre quand tu branches ta télé. Des séries, des films, des reportages, des documentaires... tous ont un voire plusieurs publics cibles. L'origine sociale, professionnelle, le niveau culturel, l'âge moyen de ce public est connu et les programmes lui sont adaptés. Rien n'est certain, mais tout est calculé par des professionnels qui ont pour habitude de ne plus avoir à penser ces éléments pour faire leur métier. Par contre quand ça coince, on revoit et on réétudie les méthodes, le marché, etc, etc.
Dans cette jungle de publicitaires (vendeurs), journalistes (politiques), présentateurs (patrons) [vous pouvez intervertir les équivalences si vous le souhaitez et même rajouter des catégories si vous en trouvez d'autres], LA technique phare est de foutre les glahouis dans la gorge. Parce que le spectateur est fasciné par ses propres peurs. Il est obnubilé par ses plus vils instincts. Si tu proposes à un individu lambda un choix simple : une route semées d'embuche ou une ligne droite impeccable, il passera par le chemin le plus court, le moins dangereux, le moins fatiguant, etc. Qui ne le ferait pas ? Flatter ce que l'être a de plus vil et veule et vous saurez lui parler. Il est toujours plus simple d'ouvrir la boîte de Pandore que de la fermer.
1 - le téléspectateur aime le goût du sang. Des morts qui s'empilent, des séries bien trash, ça lui fout les glandes, ça réveille en lui des instincts de mort, il adore ça. C'est comme la foire aux manèges tu tripes dans les virevoltages du manège, même si tu n'espères pas nécessairement pour autant que la nacelle se détache.
2 - le téléspectateur aime qu'on le prenne pour un con (facilité). En matière de culture c'est encore plus jouissif. Le football passionnera toujours plus les foules qu'un documentaire sur les techniques de désherbage biologiques. D'autant que le téléspectateur n'aime pas qu'on lui fasse remarquer qu'il est inculte.
3 - le téléspectateur, malgré tout son isolement, refuse d'être exclu du monde. S'il doit causer à quelqu'un il doit parler d'une chose commune pour simplifier la communication à son maximum. Il parlera du temps qu'il fait et de l'émission crétine que la moitié de son pays à mater dans son canapé.
Foutre les jetons et infantiliser. Ne pas apprendre pour ne pas être exclu, être comme les autres. Prendre les gens pour des cons afin qu'ils le restent ou se plient et le deviennent.
Tout un tas de facteurs qui le pousseront à regarder des conneries pour mieux en parler autour de lui. Qui le pousseront à acheter de la merde dont il croit avoir besoin.
Les techniques de marketing sont là pour le persuader que tout est génial et même mieux que tout est fait pour son bien. "On pense à toi, on pense pour toi, détends-toi, ne pense à rien".
Les enjeux sont la rentrée d'argent et/ou le contrôle de l'information et donc de près ou de loin des pensées. Bref d'une manière ou d'une autre le < Pouvoir. Un pouvoir... nous dirons "néo-totalitaire" : qui peut faire sans fric ? qui se passe des médias ? Ils sont partout toujours tout le temps. Nous dicte notre mode de vie, notre façon de penser. C'est même pire car ce n'est plus le totalitarisme de pépé qui marche au pas, tous en rang d'oignons : les médias ne dictent pas ! Ils conseillent, informent, inquiètent et rassurent en même temps. Pour ceux qui bossent : votre patron ne vous jamais tenu des discours contradictoires ? Un jour il flatte, le lendemain, il casse. L'instabilité psychologique est aussi une méthode de contrôle. La stabilité rend les gens sûrs d'eux.
Pas de complot fomenté, pas de connivence macchiavélique (parfois si, mais bon) : juste de très gros intérêts partagés... disons plutôt communs. Les entreprises de taille massive n'ont plus besoin de s'entendre ou de regarder ce que fait l'autre sur les tarifs. Il arrive qu'elles s'accordent de temps en temps pour rectifier un peu le tir ou garantir le marché, mais globalement chacune sait ce que la concurrence utilise comme moyen, donc connait les coûts et peut évaluer les tarifs. Quand 2 ou 3 entreprises de taille similaire se partagent le marché, elles cherchent à se concurrencer le moins possible pour ne plus se mettre en danger.
Pas de complots, c'est vrai, mais il ne faut pas être dupe : toutes les études visant à savoir comment manipuler le consommateurs n'ont pas été lancées pour le bien être de l'Humanité. Tout a une histoire, rien n'arrive par hasard. Quand l'ancien directeur des programmes dit qu'il vend du temps de cerveau disponible à Coca, c'est qu'il sait bien quel est réellement son travail. Et qu'il n'ira jamais à l'encontre des intérêts de sa boutique et ses clients. On ne lui a pas donné comme ordre de mission de "lobotomiser la France". Pourtant il sait bien que le but est là. Distiller la crainte est donc bien une méthode pour arriver à ses fin, une volonté affirmée à un moment à un autre, volonté qui aujourd'hui s'est perdue dans les méandres de professions du spectacle, de la concurrence, des courses à l'audience et au pouvoir.
Crains la grippe A, achète ton vaccin. Crains les voleurs, achète une alarme. Crains la mort, achète une assurance vie. Crains la maladie, achète une bonne mutuelle. Crains les autres, reste chez toi, achète par correspondance. Tant que tu restes le nez collé sur ton écran de télé, tout ira pour le mieux. Dans le virtuel tout est fait pour te plaire.